Rien n’enchantait plus Oskar Serti que de s’abandonner complètement dans la musique. Bien sûr, les soirs de concert, il avait toujours un peu peur que son état de béatitude ne le fasse se répandre littéralement sur son fauteuil. Pour garder un minimum de tenue, il apportait un soin tout particulier à la façon de s’habiller. Ainsi, une semaine avant un concert, il passait chez le tailleur, cherchait le noeud papillon, le costume, les chaussures qui allaient maintenir au mieux l’apparence extérieure de son corps.
Un soir où il savait que le programme risquait de le plonger dans une complète extase, Oskar Serti s’était habillé avec la précaution la plus extrême. Et pourtant, en écoutant son morceau préféré, son pied attira son attention. Il battait la mesure d’une façon inconnue. Il regarda sa main, elle aussi réagissait bizarrement. Serti se sentit dépassé par ce qui se passait en lui. Comme si la musique s’adressait à chacun de ses membres en particulier, et que chacun de ses membres réagissait à sa propre manière. Peut-être avait-il serré trop fort ses boutons de manchettes, lacets de chaussures, noeud papillon ; et les différentes parties de son corps en avaient profité pour prendre leur autonomie. Il dénoua le tout et put enfin se retrouver. Mais l’émotion qu’il venait de vivre l’avait tant perturbé qu’il ne parvint malheureusement plus à reprendre contact avec la musique.
À côté de lui, dans sa petite robe d’été, sa voisine semblait flotter dans la musique ; son corps et son âme ne paraissaient faire qu’un.
Discrètement, Oskar Serti se pencha pour renouer sa chaussure. Discrètement, il passa son lacet autour de la cheville de sa voisine, la sachant bien trop abandonnée pour se rendre compte que quelqu’un tentait de se glisser dans son ravissement.